mardi 22 décembre 2009

Le prix du silence.

De toutes les espèces vivantes sur notre planète, le SDF est certainement le bipède le plus étrange. Si vous vous fiez aux informations des préfectures, des mairies, et de la télévision, le SDF, telle l’hirondelle qui fait le printemps, apparaît sur les écrans avec les premiers frimas en même temps que les camions en travers des autoroutes et des automobilistes en détresse. Ceux-ci font en général la une, le SDF est signalé ensuite, parfois mort dans une montée d’escalier, sous un porche ou une bouche de métro.

Le SDF est donc silencieux quoiqu’il ne soit pas muet.

En effet on peut l’entendre. Pour cela, il faut se pencher c'est-à-dire se mettre à son niveau car contrairement aux gens bien élevés le SDF ne se lève pas de son carton pour venir à votre rencontre. Les préfets et les maires délèguent quelques flics au bon cœur pour aller les voir et les persuader de quitter leur abri pour un autre plus vaste, assez bruyant mais chaud où on leur donnera une couchette et une soupe et d’où on les virera dès l’aube. Etonnamment, le SDF tel le chien errant qui lui tient souvent compagnie a une certaine méfiance de l’uniforme et refuse de suivre les pandores. Ceux-ci ne le prennent pas mal et pour qu’il ne leur soit fait aucun reproche, ils convient chaque année la presse à une tournée pour montrer comme ils sont mal reçus et pas compris : sur une vingtaine de spécimens, seuls quatre ou cinq se laissent embarquer. Les autres préfèrent la solitude et la froidure. Ils ont de bonnes raisons à cela : promiscuité, violence, raffut, et aussi impossibilité d’amener leur seul compagnon, leur cabot. Ils s’en expliquent devant les caméras, et les représentants de l’ordre lèvent les bras dans de grands gestes d’impuissance puis regagnent leur camion bien chaud.

Tel le corps d’Amédée dans la pièce d’Eugène Ionesco « Amédée ou comment s’en débarrasser », tel le sparadrap du capitaine Haddock, le SDF demeure embarrassant et encombrant.

On pourrait en déduire que le SDF est têtu, qu’il n’a à s’en prendre qu’à lui-même : après tout sa situation, ne l’a-t-il pas bien cherchée ? Que s’est-il passé pour qu’il finisse à la rue ? Voici trois ans, notre président, en campagne, jurait que, une fois à l’Elysée, il ne laisserait personne sur le trottoir. Mais il n’avait pas expliqué que ceux qui refusaient de travailler plus pour gagner moins, ceux qui gagneraient si peu qu’un loyer devient un rêve inaccessible, ceux qui perdraient leurs droits aux Assedic, enfin bref cette foule de précaires de plus en plus nombreux, ceux là, non raisonnablement, on ne peut pas soulager toute la misère du monde (refrain connu dont on oublie la deuxième partie qui était « …mais il faut en prendre sa part ! ».

Donc le SDF est têtu ! Oui, il s’obstine à vouloir être traité dignement malgré sa dégaine loqueteuse, son abri en sacs de plastique et son chien plein de puces. Les seuls qui l’entendent de cette oreille sont ses semblables et quelques doux rêveurs dont un barbu et ses copains qui disent descendre de Don Quichotte !

Hélas ! Si Don Quichotte se battait contre des moulins à vent, ses petits enfants se battent contre l’égoïsme et la bataille est aussi inégale et vaine…Evidemment, si les préfets avaient des objectifs fixés pour le traitement des SDF, et si ils s’en acquittaient aussi efficacement qu’ils le font pour les Sans-Papiers, la question serait bien réglée : les uns et les autres en centre de rétention et puis zou, en avion, ailleurs ! Mais les préfets étant déjà bien occupés entre l’organisation de débats sur l’identité nationale et la chasse aux sans papiers, les SDF sont oubliés. D’ailleurs, il en meurt chaque jour, ça résout le problème. Mieux, on ne vous le dira jamais, mais l’été, ils meurent encore plus nombreux : la déshydratation tue plus sûrement que le froid. Un bon hiver bien froid, suivi d’une canicule bien sèche et plus besoin de se casser la tête.

Copenhague était un bide, mais le changement climatique contre lequel nous n’aurons pris aucune mesure aidera à solutionner le cas des SDF…. Et nous, mieux lotis, nous aurons vu tout cela passer comme les vaches regardent les trains, sans pouvoir faire grand-chose n’est ce pas ?